Le jargon du bureau : « merci pour le partage »
« Je suis partagé !” est devenu un cri de victoire : mon post a été rediffusé.
Le terme « partage » n’est pas très jargonneux. Il a pourtant pris une nouvelle signification qui fait sens. A l’origine, le terme comporte une notion de répartition de parts : on partage un gâteau, un héritage, un bénéfice, etc. Il désigne à présent une diffusion. Patrick partage sur Twitter sa vision du manager : il en fait part. Tout vient du jour où Facebook a décidé de donner le nom de « Partager » à la fonctionnalité « Envoyer à un ami ». Aujourd’hui, on ne compte plus les parts, mais les partages. On est passé de la Cène où l’on rompt le pain à l’ère de la multiplication des pains. Cela n’a rien d’un miracle : un contenu digital est partageable à l’infini. « Holà, je débarque sur Twitter après tout le monde mais j’avais envie de partager mon travail ici aussi », tweete une jeune graphiste. Et ses abonnés la remercient par un émoticône aux mains jointes. « Je suis partagé ! » n’est plus l’expression d’un conflit intérieur, c’est un cri de victoire : mon post a été rediffusé.
Ce partage infini des contenus digitaux a glissé vers la vie réelle. Avec les plateformes, on s’est mis à tout partager : sa voiture, son appart, ses sons. Les consommateurs se tournent vers l’accès au bien plutôt que vers sa possession. Pour organiser ce partage, l’économie s’est réorganisée. Les plateformes de pair à pair nous obligent à renoncer à nos vieilles pratiques concurrentielles qui divisent et affaiblissent. Pour ne pas finir ubérisé, il faut la jouer collectif. Désormais, en entreprise, on partage tout. A distance, on discute en mode écran partagé. Dans l’open space, on travaille en bureaux partagés. Sur Internet, on partage ses présentations sur SlideShare. Quand un chef de projet déclare : « Après ces temps d’échanges, nous avons partagé des actions à mettre en place dans nos organisations », il ne parle pas de répartition des tâches, mais de mise en commun des meilleures pratiques. Quelle révolution ! Seule question : à qui profite le partage ?
Alexandre des Isnards auteur du Dictionnaire du nouveau français (allary éditions).